Par Franco | Dernière mise à jour : 25/12/2024
La tenue emblématique des Mousquetaires français
Face à l’absence d’un article véritablement complet sur le sujet, j’ai entrepris d’apporter ma petite contribution au moulin en synthétisant un grand nombre de sources. Pour simplifier, les particularités vestimentaires des mousquetaires peuvent être divisées en plusieurs grandes périodes ou catégories : le mousquetaire d’infanterie, le Mousquetaire de la Maison royale sous Louis XIII et Louis XIV avant 1673, puis après 1688 avec un changement d’uniforme marquant, et enfin, l’éphémère Mousquetaire de la Restauration (1814-1815).
Les sources officielles permettant de définir avec précision l’habillement des mousquetaires d’infanterie et de la Maison militaire du roi tout au long de leur existence sont rares. Faute d’ordonnances détaillées, nous devons nous appuyer sur les mémoires d’officiers et les représentations iconographiques à valeur historique pour tenter de dégager une vision cohérente de leur tenue devenue célèbre.
La représentation artistique du mousquetaire grandement popularisé par Alexandre Dumas dépeint toujours le même archétype de personnage à « cape bleue », plus ou moins fantaisiste selon la rigueur historique des auteurs, et l’on nous présente systématiquement des Mousquetaires de la Maison de Louis XIII se chamaillant avec les Gardes du Cardinal. Il n’y a bien évidement pas qu’un seul uniforme historique puisque la période d’existence de notre mousquetaire français s’étend sur plus de 3 siècles et que les mousquetaires ne servaient pas tous la Maison militaire du roi de France.
Le mousquetaire d’infanterie
On peut raisonnablement admettre que les premiers soldats appelés « mousquetaires » furent, sous le règne de Charles IX, ceux-là même qui testèrent les premiers mousquets espagnols modifiés fournis par le Colonel général Strozzi dès 1572 pour le siège de La Rochelle.
Jusqu’au milieu du XVIIème siècle, pendant les débuts du règne de Louis XIII, comme sous celui de ses prédécesseurs, les régiments d’infanterie et de cavalerie ne portaient aucun habit permettant de les distinguer des autres. Les soldats utilisaient leurs vêtements personnels et chacun s’habillait à sa fantaisie suivant la mode de l’époque. Seuls les capitaines de compagnie plus riches et zélés pouvaient financer un habit spécial et commun à leurs hommes afin de définir leurs « couleurs ». Les seules similitudes entre les soldats résidaient dans leurs armes défensives, leurs casques ou, pour les cavaliers, leurs bottes.
Il est important de noter que, sous Louis XIII, il existait encore peu de corps permanents. En cas de guerre, les nouvelles troupes étaient recrutées temporairement, souvent parmi des hommes rudes ou indigents de diverses origines. Leurs conditions de vie étaient misérables, marquées par des larcins et des violences. Ces soldats servaient dans leurs vêtements du jour de l’enrôlement, parfois en loques, et leur solde, souvent irrégulièrement versée, ne leur permettait aucune dépense superflue. Dans ce contexte de désordre vestimentaire, les pertes dues aux confusions et au « friendly fire » étaient considérables. Tout au plus, peignait-on une croix de couleur sur soi pour pouvoir se distinguer des autres nations. La croix blanche était depuis le XIVème siècle la marque distinctive des Français ; elle se portait sur les vêtements et les étendards (les protestants lui substituèrent une écharpe blanche). On prit par la suite, l’habitude de porter des objets distinctifs sur ses vêtements et son chapeau. En 1622, lors du siège de Nègrepelisse, Louis XIII prescrivit le port de tissus ou d’objets blancs sur les chapeaux pour faciliter l’identification durant les affrontements. Lors du siège de La Rochelle en 1627, Richelieu ordonna une collecte de vêtements auprès des villes françaises pour soutenir les troupes. Les vêtements envoyés par les différentes villes étant de même couleur, les soldats furent habillés de manière uniforme pour la première fois à cette occasion.
Donc notre mousquetaire d’infanterie au XVIème et milieu du XVIIème siècle porte ses vêtements civils, variables suivant les modes et les régions, agrémentés de toutes sortes de galanterie et autres éléments décoratifs. Dans les compagnies les mieux dotées, certaines décorations luxueuses tels que des parements de dentelle ou de velours et des rubans étaient introduites par les capitaines pour faire bonne figure fassent aux autres compagnies dans une sorte de course à l’élégance.
L’habillement donnait également lieu à divers abus : ainsi, dans certains corps, les soldats recevaient par économie des habits en toile au lieu de draps ou les capitaines conservaient les habits neufs pour les revues et laissaient les soldats dépenaillés le reste du temps. Les capitaines rétorquaient que dans les garnisons isolées notamment à l’étranger, les déserteurs pouvaient revendre facilement leurs effets. La vraie raison était que les charges induites par ces récentes obligation de tenues uniformes étaient trop importantes pour les capitaines de compagnie dont le remboursement était toujours lent et incertain.
L’armure des siècles précédents, dont on se débarrasse peu à peu, est devenue inutile face aux puissantes armes à feu ; elle est remplacée dans la cavalerie et pour les mousquetaires par une casaque-buffletin épaisse et solide, faite de peau de buffle ou d’élan. Ce vêtement avait l’avantage d’être léger et d’amortir, dans une certaine mesure, les coups d’épée. Il est complété par un grand hausse-col pour protéger sa poitrine et des trousses de drap arrêtées au genou par des jarretières. Le mousquetaire est chaussé de souliers en cuir. Le fourniment, en lien avec son armement, comporte un baudrier en cuir de buffle, de vache ou de cheval de l’épaule droite à la cuisse gauche, il soutient son épée et son mousquet ainsi qu’une bandoulière munie de charges de poudre dans des petits étuis cylindriques en bois ou en fer-blanc recouverts de cuir. Il porte également une bourse de cuir contenant les balles pour son mousquet, une poire à poudre et un pulvérin (poudre à canon très fine, employée autrefois l’amorçage). Le soldat portait également, à la manière des chasseurs, un sac de toile (« canapsa ») muni d’une bretelle en cuir renfermant ses affaires personnelles (chemises, souliers, bas, bonnet et des vivres pour deux ou trois jours). Il était dit que la longueur des baudriers n’était pas commode surtout sous la pluie et très encombrante pour se mouvoir aisément lors des assauts.
En 1664, les gardes françaises portaient déjà un uniforme mais chaque compagnie avait des habits différents. Un uniforme commun ne fut imposé qu’aux troupes étrangères en 1668, à toute l’infanterie en 1670 et à la cavalerie qu’en 1690. Les régiments d’infanterie commencèrent progressivement à être habillés d’une manière uniforme et les capitaines des régiments français adoptèrent des draps gris blanc moins chers que ceux d’autres couleurs. Le justaucorps qui était le vêtement alors en usage dans la population, était ample, à larges basques et à manches longues pouvant se retrousser. Le justaucorps, la veste et les culottes devaient être en drap mais par souci d’économie souvent confectionné à partir de toile. Les bas étaient en laine ou drapés.
Louvois, ministre de Louis XIV en charge de la réorganisation de l’armée, résolu de remplacer l’embarrassant baudrier du soldat par un ceinturon pour le port de l’épée et de substituer la bandoulière du mousquetaire par une giberne ou cartouche (coffret en cuir ou en bois recouvert de cuir) pour son fourniment (poudre, mèches…). Ce fut fait dès 1684 pour les Gardes françaises et Suisses puis en 1690 pour tous les régiments.
En cette fin de XVIIème siècle, les mousquets sont progressivement retirés aux régiments d’infanterie puis définitivement remplacés par des fusils depuis l’ordonnance de 1703. Les mousquetaires deviennent alors des fusiliers. La dénomination de ‘Mousquetaires’ subsista pour les Mousquetaires du roi, même après l’abandon des mousquets, tellement la réputation d’élite qu’ils avaient acquise sous Louis XIII et lors des guerres de Louis XIV perdura dans l’imaginaire collectif, que l’on voulu la conserver.
La casaque bleue emblématique des Mousquetaires du roi (1622-1688)
Dès la transformation des cinquante carabins de la compagnie des Chevau-légers de la Garde en ‘Mousquetaires à cheval de la Garde du roi’, juste après la reddition de Montpellier en octobre 1622, il devint essentiel de les rendre visibles en permanence et de les distinguer des autres compagnies. Louis XIII décréta qu’ils porteraient une casaque bleue ornée d’une croix fleurdelisée, qu’ils arborèrent systématiquement lors des exercices, des revues et en campagne, par-dessus leurs vêtements habituels.
La casaque remonte à une origine fort ancienne et descend de la Cotte d’Arme du Moyen Âge ou tabard, cette tunique marquée d’armoiries que le chevalier portait par-dessus son armure ou sa cotte de maille. Cet habillement a toujours été une distinction particulière des Gardes. Il est donc logique que les mousquetaires l’aient adoptée. Elle devint, à son adoption, cette ample pélerine à quatre pans de couleur « moire bleue » (un bleu roi ou bleu canard) à la doublure rouge, pouvant se boutonner de haut en bas. Sur chaque flanc était brodée une croix fleurdelisée en velours blanc en lien avec cet ancien usage, que j’ai déjà évoqué plus haut, de broder ou peindre des croix blanches sur sa casaque ou sa cuirasse pour se reconnaître durant les combats. Aux quatre angles de la croix figuraient des flammes rouges à trois pointes pour la première compagnie et des flammes jaunes à cinq pointes pour la seconde.
L’habillement des Mousquetaires du roi a pu varier dans le temps selon la richesse des mousquetaires, qui pouvaient orner leurs vêtements de décorations luxueuses et de nœuds de rubans, et quelques ajustements furent opérés entre l’époque Louis XIII et Louis XIV (longueur de casaque, col, etc.). Louis XIV a lui-même fait concevoir des casaques et des habits somptueux pour ses Mousquetaires à l’occasion de revues ou d’événements prestigieux, en les ornant de diamants ou en les complétant de vêtements de velours ou de buffle. La casaque a également varié en longueur au fil du temps ; en effet, elle avait été rallongée, car trop courte, l’eau ruisselait dans les bottes les jours de pluie.
Cette coutume de porter la casaque bleue par-dessus des vêtements divers et variés perdura jusqu’en 1646, date à laquelle Mazarin licencia les Mousquetaires du roi. En 1657, la Compagnie des Mousquetaires à cheval de la garde royale fut rétablie et, en 1660, Mazarin fit don de sa compagnie de mousquetaires à cheval au roi en cadeau de mariage.
Les deux compagnies, n’étant pas habillées de la même manière, on régla définitivement l’affaire en imposant des habits rouges aux deux compagnies de Mousquetaires du roi dès 1673 (Louis XIV).
Évolution de la tenue des Mousquetaires du Roi sous Louis XIV
Après la capitulation de Maastricht, en juin 1673, les mousquetaires de la maison du roi vont être habillés de rouge (« Maison rouge ») pour uniformiser les tenues des deux compagnies.
En 1688, Louis XIV décide de supprimer la célèbre casaque pour une soubreveste, une sorte de justaucorps (long gilet sans manches) plus court qui ne descend que dans le bas du dos. sur lequel on rajoute un ceinturon, car la casaque, qui avait été allongée au fil du temps, était devenue gênante pour le service à pied et à la guerre ; les mousquetaires avaient d’ailleurs pris l’habitude de ne plus la mettre au combat lorsqu’ils étaient à pied et de la rejeter en arrière lorsqu’ils étaient à cheval, ce qui contraria grandement le roi car on ne reconnaissait plus ses Mousquetaires facilement.
Quant à l’apparence de l’uniforme du XVIIIème siècle, nous pouvons nous référer aux mémoires de Thomas-Jacques Goislard Villebresme qui entra en 1772, à 17 ans, dans la première compagnie des Mousquetaires du roi, qui nous en donna une description détaillée :
« La première compagnie, dont l’hôtel était rue du Bac, avait l’habit avec collet, parements et doublure en drap écarlate bordé d’or, boutonnières d’or, boutons dorés ornés de croix de même dessin que celles de la soubreveste ; double poches en long, veste et culottes jaunes, chapeau bordé d’or, plumet blanc, bottes molles, éperons d’argent, soubreveste bleue doublée de rouge, garnie d’un double bordé d’argent et de croix blanches brodées devant et derrière ; enfin l’équipage du cheval était d’écarlate brodé d’or. L’uniforme de la seconde compagnie était le même, à cette seule différence qu’elle avait en argent les galons que nous avions d’or. »
Le Général Louis Susane évoque quant à lui dans ses ouvrages militaires des « culottes et bas blancs » en 1760, puis rouges sans évoquer la date de ce changement.
L’illustrations d’Eugène Leliepvre ci-dessous permet de nous donner une idée très précise de ces justaucorps sans manche que l’on pouvait attacher sur les flancs grâce à des agrafes. On y ajouta une entaille dans le dos pour plus de flexibilité. Elle est fournie pas le roi et l’on obligé de la rendre lorsqu’on quitte sa compagnie. Les officiers supérieurs ne portaient pas la soubreveste. Le nombre de galons bordant la soubreveste indiquaient le grade des sous-officiers.
Cette soubreveste fut conservée sous cette forme, à quelques insignifiants changements près, jusqu’à la dissolution des Mousquetaires du roi de l’Ancien Régime en 1776.
Le couvre-chef
Les mousquetaires d’infanterie des débuts (XVIème), qui venaient de passer de l’arquebuse au mousquet, portaient encore un casque en fer. Par la suite, ce dernier fut remplacé par un chapeau. Sous Louis XIII, au combat, le chapeau pouvait être renforcé d’une calotte de fer (cervelière) qui se portait sous le chapeau afin de protéger le crane des coups d’épée.
Le chapeau des mousquetaires était en feutre rigide à larges bords. Une plume est souvent enroulée à sa base. Comme pour le reste des vêtements, les chapeaux varient selon l’origine géographique du soldat.
En 1697, le chapeau fit l’objet de remaniements : ses bords furent retroussés sur trois côtés, prenant la forme d’un tricorne, appelé ‘lampion‘, un style devenu classique et adopté dans toute l’armée. Il était en feutre noir bordé d’un galon blanc, auquel on ajoutait un nœud aux couleurs du colonel du régiment. Les chapeaux des Mousquetaires du roi étaient ornés d’un galon d’or pour la première compagnie et d’argent pour la seconde.
Les bottes
Les Mousquetaires du roi portèrent longtemps les grosses bottes de la cavalerie lourde qu’ils abandonnèrent ensuite (1683) pour des bottes plus légères, appropriées à leur polyvalence. Ils portaient, à cheval, de larges bottes de cuir de vache avec des éperons et, à pied, des demi-bottes ou des chaussures avec des gamaches (guêtres) car leur équipement différait pour le service à pied et à cheval.
Les Mousquetaires de la Restauration (1814-1815)
Après la dissolution des deux compagnies de Mousquetaires du roi par Louis XVI en 1776 (ordonnance de décembre 1775) pour des raisons économiques, un nouvel uniforme fut introduit lors de leur brève reconstitution en 1814, sous la première Restauration. Louis XVIII ordonna la reformation des deux compagnies de Mousquetaires, leurs uniformes et équipements étant financés par les Mousquetaires eux-mêmes.
Ces uniformes comprenaient plusieurs tenues en fonction du service (grande tenue de cérémonie, tenue de société et petit uniforme) : une soubreveste bleu foncé bordée d’argent, ajustée à la manière d’une cuirasse textile. Elle reprenait la fameuse croix fleurdelisée des anciennes casaques, avec une distinction de couleur de flammes propre à la 1ère et à la 2nde compagnies. Les tenues incluaient également un manteau, des épaulettes, divers pantalons gris et blancs, une paire de gants, des ceinturons en or et en buffle, des bottes à éperons, des chapeaux à plumes et un casque.
Le casque emblématique des Mousquetaires de la Restauration, sans doute d’inspiration étrangère (russe, prussienne ou anglais), variait légèrement entre les deux compagnies de Mousquetaires et selon le rang. Il consistait en une bombe en cuivre plaqué argent et laiton doré. Il était conçu à partir de coquilles de cuivre soudées à l’étain et était doté d’une visière, d’un couvre-nuque et de jugulaires. Il était surmonté d’une abondante crinière et brosse au sommet d’un cimier et d’un plumet (de plumes d’aigrette/de héron ou d’autruche).
Cet uniforme perdura jusqu’à la fin de l’année 1815 où les deux compagnies furent licenciées, mettant un terme définitif à l’existence des Mousquetaires du roi.
Crédits
Illustration principale entête :
Tri mushketera / Три мушкетёра (2013), de Sergey Zhigunov | Fond kino, Centre de production Sergueï Jigounov
Illustration “Les mousquetaires dans la représentation populaire” :
The Musketeers (2014-2016) | BBC One, BBC America, Showcase.
The Three Musketeers (1993) réalisé par Stephen Herek, avec Charlie Sheen, Kiefer Sutherland, Chris O’Donnell… | Walt Disney Pictures, Caravan Pictures, Buena Vista Pictures Distribution.
Les Quatre Charlots mousquetaires (1974) réalisé par André Hunebelle, avec les Charlots | Les Films Christian Fechner, Renn Productions, AMLF.
The Three Musketeers (1973) réalisé par Richard Lester, avec Michael York, Oliver Reed, Richard Chamberlain… | 20th Century Fox.
The Three Musketeers (1948) réalisé par George Sidney, avec Gene Kelly et Lana Turner | Metro-Goldwyn-Mayer.
The Three Musketeers (1921) réalisé par Fred Niblo, avec Douglas Fairbanks | United Artists.
Sources bibliographiques :
Les Mousquetaires du roi – Une troupe d’élite au coeur du pouvoir (2023), par Julien Wilmart.
Les uniformes de la cavalerie de la Maison du roi vers 1691, par Christian Terana
Le costume historique, 1876-1888, par Auguste Racinet.
L’homme de 1643 – Le mousquetaire de Rocroi de Michel Pétard.
Histoire de l’infanterie en France, 1893-1902 par le lieutenant-colonel Belhomme.
Les Travaux de Mars ou L’art de la guerre – 1684 par Allain Manesson-Mallet.
Le Passepoil N°10 – 1930.
Souvenirs du chevalier de Villebresme, mousquetaire de la garde du roi, 1772-1816 par Thomas-Jacques Goislard Villebrsme (1897).
Historique de la maison du roi, 1734-1735 par Lamoral Le Pippre de Noeufville.
Histoire de la cavalerie française, par le Général Louis Suzanne.
Histoire de l’armée française (1887), par Paul Lehugeur.
La France militaire illustrée (1900), par par A. Dally.